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LE PÉCHÉ

vous ! Émile ne mentira ni aux hommes, ni à vous, ni à son père, ni à lui-même. J’ignore si je comprends bien l’importance de ses idées et la profondeur des vôtres ; mais j’adore la vérité. Je ne suis pas philosophe, moi, je suis trop ignorante ! Mais je suis pieuse, je suis nourrie des préceptes de l’Évangile, et je ne puis les interpréter dans un sens opposé à ceux qu’Émile leur donne. Je comprends que son père, qui invoque pourtant aussi l’Évangile, quand la fantaisie lui en vient, veut qu’il mente à la foi de l’Évangile, et, si je croyais Émile capable d’y consentir, je rougirais de m’être assez grossièrement trompée pour aimer un homme sans lumières et sans conscience ! mais je n’ai pas eu ce malheur. Émile saura renoncer à moi, s’il le faut, plutôt que de renoncer à lui-même ; et, quant à moi, je saurai bien avoir du courage, si par moments le sien venait à défaillir. Je ne le crains pourtant pas : je sais qu’il souffre, et je souffre aussi ; mais je serai digne de son affection, comme il est digne de la vôtre, et Dieu nous aidera à tout supporter, car il n’abandonne pas ceux qui souffrent pour l’amour de lui et pour la gloire de son nom.

— C’est bien dit ! s’écria le charpentier, et je voudrais savoir parler comme ça. Mais, n’importe, je pense de même, et le bon Dieu m’en sait autant de gré.

— Oui ! vous avez raison, dit M. de Boisguilbault, frappé de la conviction que révélait l’accent énergique du charpentier ; je ne savais pas, Jean, que vous dussiez être pour Émile un ami aussi dévoué et plus utile peut-être que moi-même.

— Je ne dis pas ça, monsieur de Boisguilbault ; je sais qu’Émile vous considère comme son père véritable, à la place du père peu chrétien que le sort lui a donné ; mais je suis un peu son ami, et hier soir je me flatte de lui avoir remonté l’esprit, comme ce matin je l’ai remonté à