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à votre jeune maîtresse que l’heure de se mettre à table est venue. Ah ! cela vous rend tout guilleret, vous ! Votre appétit vous dit l’heure aussi bien qu’une montre. »

Le chien de M. Antoine répondait également au nom de Monsieur qu’on lui donnait quand on était content de lui, et à celui de Sacripant, qui était son nom véritable, mais qui ne plaisait pas à mademoiselle de Châteaubrun, et dont son maître ne se servait plus guère avec lui qu’à la chasse, ou pour le réprimander gravement, quand il lui arrivait, chose bien rare, de commettre quelque inconvenance, comme de manger avec gloutonnerie, de ronfler en dormant, ou d’aboyer lorsqu’au milieu de la nuit Jean arrivait par-dessus les murs. Le fidèle animal sembla comprendre le discours de son maître, car il se mit à rire, expression de gaieté très marquée chez quelques chiens, et qui donne à leur physionomie un caractère presque humain d’intelligence et d’urbanité. Puis il courut en avant et disparut en descendant la pente du côté de la rivière.

En le suivant, M. Antoine fit remarquer à Émile la beauté du site qui se déployait sous leurs yeux. « Notre Creuse aussi s’est mêlée de déborder l’autre jour, dit-il : mais tous les foins du rivage étaient rentrés, et cela grâce au conseil de Jean, qui nous avait avertis de ne pas les laisser trop mûrir. On le croit ici comme un oracle, et il est de fait qu’il a un grand esprit d’observation et une mémoire prodigieuse. À certains signes que nul autre ne remarque, à la couleur de l’eau, à celle des nuages, et surtout à l’influence de la lune dans la première quinzaine du printemps, il peut prédire à coup sûr le temps qu’il faut espérer ou craindre tout le long de l’année. Ce serait un homme très précieux pour votre père, s’il voulait l’écouter. Il est bon à tout, et si j’étais dans la position de M. Cardonnet, rien ne me coûterait pour essayer de m’en