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Et, en disant ces derniers mots d’un ton sérieux et pénétré, le châtelain eut tout à coup dans les yeux et dans la voix comme un nuage et un accent de tristesse profonde. Mais la durée d’un sentiment chagrin était incompatible avec son caractère, et il reprit aussitôt sa sérénité habituelle.

« Allez apprêter le déjeuner, jeune folle, dit-il avec enjouement à son petit majordome femelle ; moi j’ai encore deux arbres à tailler, et M. Émile va venir me tenir compagnie. »

Le jardin de Châteaubrun avait été vaste et magnifique comme le reste ; mais, vendu en grande partie avec le parc qui avait été converti en champ de blé, il n’occupait plus que l’espace de quelques arpents. La partie la plus voisine du château était belle de désordre et de végétation ; l’herbe et les arbres d’agrément, livrés à leur croissance vagabonde, laissaient apercevoir çà et là quelques marches d’escalier et quelques débris de murs, qui avaient été des kiosques et des labyrinthes au temps de Louis XV. Là, sans doute, des statues mythologiques, des vases, des jets d’eau, des pavillons soi-disant rustiques, avaient rappelé jadis en petit l’ornementation coquette et maniérée des maisons royales. Mais tout cela n’était plus que débris informes, couverts de pampre et de lierre, plus beaux peut-être pour les yeux d’un poète et d’un artiste qu’ils ne l’avaient été au temps de leur splendeur.

Sur un plan plus élevé et bordé d’une haie d’épines, pour enfermer les deux chèvres qui paissaient en liberté dans l’ancien jardin, s’étendait le verger, couvert d’arbres vénérables, dont les branches noueuses et tordues, échappant à la contrainte de la taille en quenouille et en espalier, affectaient des formes bizarres et fantastiques. C’était un entrecroisement d’hydres et de dragons monstrueux qui se tordaient sous les pieds et sur la tête, si bien qu’il