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— Quand je te revois après une longue séparation, il me serait difficile de n’être pas indulgent, dit M. Cardonnet en lui serrant la main.

— Le pauvre Caillaud ne sera pas destitué ? reprit Émile en embrassant son père.

— Non, à condition que tu ne te mêleras jamais des affaires de la municipalité.

— Et vous ne ferez pas arrêter le pauvre Jean ?

— Je n’ai rien à répondre à une telle question ; j’ai eu trop de confiance en vous, Émile, je vois que nous ne pensons pas de même sur certains points, et, jusqu’à ce que nous soyons d’accord, je ne m’exposerai pas à des contestations qui ne conviennent point à mon rôle de chef de famille. C’est assez ; bonsoir, mon enfant ! J’ai à travailler.

— Ne puis-je donc vous aider ? vous ne m’avez jamais cru propre à vous éviter quelque fatigue !

— J’espère que tu le deviendras. Mais tu ne sais pas encore faire une addition.

— Des chiffres ; toujours des chiffres !

— Va donc dormir, c’est moi qui veillerai pour que tu sois riche un jour.

— Eh ! ne suis-je pas déjà assez riche ? pensait Émile en se retirant. Si, comme mon père me l’a dit souvent et avec raison, la richesse impose des devoirs immenses, pourquoi donc user sa vie à se créer ces devoirs, qui dépassent peut-être nos forces ! »

La journée du lendemain fut consacrée à réparer un peu le désordre apporté par l’inondation. M. Cardonnet, malgré la force de son caractère, éprouvait une profonde contrariété, en constatant à chaque pas une perte imprévue dans les mille détails de son entreprise ; ses ouvriers étaient démoralisés. L’eau, qui faisait marcher l’usine, et dont il était encore impossible de régler la force, impri-