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craint, et si vous lui ordonnez de me conduire en prison, il est prêt à le faire.

— Émile, vous me faites pitié. Laissons là ce garde champêtre et ses contusions. Je lui pardonne, et je vous autorise à lui faire un bon présent pour qu’il se taise, car je ne suis pas d’avis de vous faire débuter dans ce pays-ci par un scandale ridicule. Mais voudrez-vous bien m’expliquer pourquoi vous semblez provoquer un drame burlesque en police correctionnelle ? Quelle est cette aventure où vous jouez le rôle de don Quichotte, en prenant Caillaud pour votre Sancho-Pança ? Où alliez-vous si vite, lorsque vous vous êtes trouvé présent à l’arrestation du charpentier ? Quelle fantaisie vous a prise de soustraire cet homme à la main de la justice et aux intentions bienveillantes que j’avais à son égard ? Êtes-vous devenu fou depuis six mois que nous ne nous sommes vus ? Avez-vous fait vœu de chevalerie, ou avez-vous l’intention de contrarier mes desseins et de me braver ? Répondez sérieusement si vous le pouvez, car c’est très sérieusement que votre père vous interroge.

— Mon père, j’aurais beaucoup de choses à vous répondre, si vous m’interrogiez sur mes sentiments et mes idées. Mais il s’agit ici d’un petit fait particulier, et je vous dirai en peu de mots comment les choses se sont passées. Je courais après le fugitif, afin de lui faire éviter la honte et la douleur d’être arrêté ; j’espérais devancer Caillaud, et persuader à Jean de revenir de lui-même écouter vos offres et faire ses soumissions à la loi. Arrivé trop tard, et ne pouvant dissuader loyalement le garde de faire son devoir, je l’en ai empêché en m’exposant seul à la peine du délit. J’ai agi spontanément, sans préméditation, sans réflexion, et entraîné par un mouvement irrésistible de compassion et de douleur. Si j’ai mal fait, blâmez-moi ; mais si, par des moyens de douceur et de