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jamais. Bonjour, monsieur, partez vite, car il y aura du malheur tantôt chez votre ami Cardonnet. »

Et il s’éloigna sans vouloir ajouter un mot de plus.

Saisi d’un vague effroi, Émile se hâta de seller lui-même son cheval, et, jetant une pièce d’argent à Charasson :

« Mon enfant, lui dit-il, tu diras à ton maître que je pars sans lui faire mes adieux, mais que je reviendrai bientôt le remercier de ses bontés pour moi. »

Il franchissait le portail, lorsque Janille accourut pour lui barrer le passage. Elle voulait réveiller M. Antoine ; mademoiselle était en train de s’habiller ; le déjeuner serait prêt dans un instant ; les chemins étaient trop mouillés ; la pluie allait recommencer. Le jeune homme se déroba, avec force remerciements, à ses prévenances, et lui fit aussi un cadeau qu’elle parut accepter avec grand plaisir. Mais il n’avait pas atteint le bas de la colline, qu’il entendit derrière lui le bruit d’un cheval dont les pieds larges et solides rasaient le pavé en trottant. C’était Sylvain Charasson, qui, monté à poil sur la jument de M. Antoine, et ne se servant pas d’autre bride que d’une corde en licou passée entre les dents de l’animal, le rejoignait à la hâte. « Je vas vous conduire, monsieur, lui cria-t-il en passant devant lui ; mademoiselle Janille dit que vous vous péririez, ne connaissant pas les chemins et c’est la vraie vérité.

— À la bonne heure, mais prends le plus court, répondit le jeune homme.

— Soyez tranquille, reprit le page rustique », et, jouant des sabots, il mit au grand trot l’animal ensellé, dont le gros ventre nourri de foin, sans aucun mélange d’avoine, contrastait avec des flancs maigres et une encolure grêle.