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impatience qu’une distraction de Janille lui permît d’aller guetter sur la terrasse l’arrivée de son amant.

Mais Janille n’avait point de distractions ; elle rôdait comme un lézard dans tous les coins des ruines, et elle se trouva juste à point pour recevoir la moitié du salut qu’Émile adressait à Gilberte. Cependant Émile vit, du premier coup d’œil, qu’elle n’avait pas parlé.

« En honneur, Monsieur, dit-elle en grasseyant avec plus d’affectation que de coutume, vous n’êtes pas galant, et vous avez failli amener une querelle de rivalité entre ma fille et moi. Comment, vous me faites espérer que, dans son absence, vous viendrez me tenir compagnie, vous me donnez même un jour pour vous attendre, et au lieu de cela, vous allez vous divertir en voyage avec mademoiselle, sous prétexte qu’elle a une quarantaine d’années de moins ! comme si c’était ma faute, et comme si je n’étais pas aussi leste pour courir, et aussi gaie pour causer qu’une fille ! C’est fort vilain de votre part, et vous avez bien fait de laisser passer quelques jours sur ma colère ; car si vous fussiez revenu plus tôt, vous eussiez été fort mal reçu.

— Est-ce que M. Antoine ne m’a pas justifié, répondit Émile, en vous disant combien notre rencontre à Crozant avait été imprévue, et notre voyage à Saint-Germain improvisé subitement par lui ? Pardonnez-moi donc, ma chère demoiselle Janille, et soyez sûre qu’il fallait que je fusse à dix lieues d’ici pour manquer à votre rendez-vous.

— Je sais, je sais, dit Janille d’un ton significatif, que c’est M. Antoine qui a tout le tort : c’est une tête si légère ! mais j’aurais cru que vous seriez plus raisonnable que lui.

— Je suis fort raisonnable, ma bonne Janille, reprit Émile sur le même ton, et la preuve c’est que, malgré mon désir de venir implorer ma grâce, j’ai passé ma se-