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air de complaisance, se composait d’un fromage de chèvre, d’un fromage de brebis, d’une assiettée de noix, d’une assiettée de pruneaux, d’une grosse tourte de pain bis, et des quatre cruches de vin apportées par le maître en personne. Les convives se mirent bien vite à déguster ce repas frugal avec une satisfaction évidente, à l’exception du voyageur, qui n’avait aucun appétit, et qui se contentait d’admirer la bonne grâce avec laquelle le digne châtelain le conviait, sans embarras et sans fausse honte, à son splendide ordinaire. Il y avait dans cette aisance affectueuse et naïve quelque chose de paternel et d’enfantin en même temps qui gagna le cœur du jeune homme.

Fidèle à la loi de générosité qu’il s’était imposée, M. Antoine ne fit aucune question à son hôte, et même évita toute réflexion qui eût pu ressembler à une curiosité déguisée. Le paysan paraissait un peu plus inquiet, et se tenait sur la réserve. Mais bientôt, entraîné par l’espèce de causerie générale que M. Antoine et dame Janille avaient entamée, il se mit à l’aise et laissa remplir son verre si souvent, que le voyageur commença à regarder avec étonnement un homme capable de boire ainsi sans perdre non seulement l’usage de sa raison, mais encore l’habitude de son sang-froid et de sa gravité.

Quant au châtelain, ce fut une autre affaire. À peine eut-il bu la moitié du broc placé auprès de lui, qu’il commença à avoir l’œil animé, le nez vermeil et la main peu sûre. Cependant il ne déraisonna point, même après que tous les brocs furent vidés par lui et son ami le paysan ; car Janille, soit par économie, soit par sobriété naturelle, mit à peine quelques gouttes de vin dans son eau, et le voyageur, ayant fait un effort héroïque pour avaler la première rasade, s’abstint de ce breuvage aigre, trouble et détestable.