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Celui-là était bien assez grand, et le vertige qu’il causait était plein d’irrésistibles délices.

Tout ce que Gilberte sut dire, ce fut de répéter avec un effroi plein de regret et de douleur :

« Non, non ! il ne faut pas m’aimer.

— C’est donc que vous me haïssez ! » reprenait Émile ; et Gilberte, détournant la tête, n’avait pas le courage de mentir. « Eh bien, si vous ne m’aimez pas, disait Émile, que vous importe de savoir que je vous aime ? Laissez-moi vous le dire, puisque je ne peux plus le cacher. Cela vous est indifférent, et on ne craint pas ce qu’on dédaigne. Sachez-le donc, et si je vous quitte, si je ne vais plus vous voir, apprenez au moins pourquoi : c’est que je meurs d’amour pour vous, c’est que je ne dors plus, que je ne travaille plus, que je perds l’esprit, et qu’il m’arriverait peut-être bientôt de dire à votre père ce que je vous dis maintenant. J’aime mieux être chassé par vous que par les autres. Chassez-moi donc ; mais vous m’entendrez ici, parce que mon secret m’étouffe ; je vous aime, Gilberte, je vous aime à en mourir ! » Et le cœur d’Émile était si plein qu’il déborda en sanglots.

Gilberte voulut s’éloigner ; mais elle s’assit à trois pas de là et se prit à pleurer. Il y avait plus de bonheur que d’amertume au fond de toutes ces larmes. Aussi Émile se fut-il bientôt rapproché pour consoler Gilberte, et fut-il bientôt consolé à son tour ; car dans l’effroi qu’elle exprimait, il n’y avait que tendresse et regret.

« Je suis une pauvre fille, lui disait-elle, vous êtes riche, et votre père ne songe, à ce qu’on dit, qu’à augmenter sa fortune. Vous ne pouvez pas m’épouser, et moi je ne dois pas songer à me marier dans la position où je suis.

« Ce serait un hasard de rencontrer un homme aussi pauvre que moi, qui eût reçu un peu d’éducation, et je