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(car elle m’appelle toujours comme ça ; la pauvre enfant n’a jamais connu la sienne, et m’a toujours aimée comme si c’était moi, quoique nous nous ressemblions à peu près comme une rose ressemble à une ortie), tiens, mère, qu’elle a dit, ces broderies, ces dessins, toutes ces niaiseries qu’on m’a enseignées au couvent, ne serviraient à rien ici. Apprends-moi à filer, à tricoter et à coudre, afin que je t’aide à faire les vêtements de mon père… »

Au moment où le monologue infatigable de la bonne femme commençait à devenir intéressant pour son auditeur fatigué, elle sortit comme elle avait déjà fait plusieurs fois, car elle ne restait pas un moment en place, et tout en pérorant, elle avait couvert la table d’une grosse nappe blanche, et avait servi les assiettes, les verres et les couteaux ; elle avait rebalayé l’âtre, ressuyé les chaises et rallumé le feu dix fois, reprenant toujours son soliloque à l’endroit où elle l’avait laissé. Mais cette fois, sa voix, qui commençait à grasseyer dans le couloir voisin, fut couverte par d’autres voix plus accentuées, et le comte de Châteaubrun, accompagné du paysan qui avait introduit notre voyageur, se présenta enfin à ses regards, chacun portant deux grands brocs de grès, qu’ils placèrent sur la table. Ce fut alors seulement que le jeune homme put voir distinctement les traits de ces deux personnages.

M. de Châteaubrun était un homme de cinquante ans, de moyenne taille, d’une belle et noble figure, large d’épaules, avec un cou de taureau, des membres d’athlète, un teint basané au moins autant que celui de son acolyte, et de larges mains durcies, hâlées, gercées à la chasse, au soleil, au grand air ; mains de braconnier s’il en fut, car le bon seigneur avait trop peu de terres pour ne pas chasser sur celles des autres.

Il avait la face épanouie, ouverte et souriante ; la jambe