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tume de se retirer le soir. Émile toussa, fit craquer le plancher pour l’avertir de sa présence, bien décidé à s’en aller sans le voir, plutôt que de franchir la porte interdite à tout le monde sans exception.

Comme aucun bruit ne répondit à celui qu’il faisait, il jugea que le marquis était encore au château, et il allait se diriger de ce côté lorsqu’un coup de vent fit ouvrir en même temps avec violence une fenêtre et la porte située au fond de l’appartement. Il se tourna vers cette porte, croyant voir arriver par là M. de Boisguilbault ; mais personne ne parut, et Émile distingua l’intérieur d’un petit cabinet de travail aussi mal rangé que les appartements du château l’étaient avec soin.

Il eût craint de commettre une indiscrétion en y pénétrant, et même en examinant de loin les meubles pauvres et grossiers, et le pêle-mêle de vieux livres et de paperasses qu’il vit confusément au premier coup d’œil. Mais ce qui captiva son attention, en dépit de lui-même, ce fut un portrait de femme de grandeur naturelle, placé au fond de ce réduit, juste en face de lui, si bien qu’il lui était impossible de ne pas le voir, outre qu’il était difficile de ne pas regarder une peinture si belle et une image si charmante.

La dame était vêtue à la mode de l’empire ; mais un cachemire bleu d’azur richement brodé, et jeté en draperie sur ses épaules, cachait ce que la taille courte eût pu avoir de disgracieux. La coiffure en boucles, dites naturelles, était assez heureuse, et les cheveux d’un blond doré magnifique.

Rien n’était plus délicat et plus charmant que ce jeune visage ; sans doute c’était là madame de Boisguilbault, et notre héros s’oubliait à interroger curieusement la physionomie de cette femme, dont la vie et la mort devaient avoir eu une si grande influence sur la destinée du solitaire.