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le jeune homme vit une grosse larme briller un instant sur la joue flétrie du vieillard et se perdre dans ses favoris argentés.

Émile avait vaincu ; il en était heureux et fier.

La jeunesse d’aujourd’hui professe un dédain odieux pour la vieillesse, et notre héros, tout au contraire, mettait un légitime orgueil à triompher de la réserve et de la méfiance de cet homme malheureux et respectable.

Il se sentait flatté d’apporter quelque consolation à ce patriarche abandonné, et de réparer envers lui l’oubli ou l’injustice des autres.

Il se promena longtemps avec lui dans son beau parc, et lui fit encore des questions dont l’ingénuité confiante ne déplut point au marquis.

Il s’étonnait, par exemple, que, riche et indépendant de tout lien de famille, M. de Boisguilbault n’eût pas essayé d’aborder la pratique, et de fonder quelque établissement d’association.

« Cela me serait impossible, répondit le vieillard. Je n’ai aucune initiative dans l’esprit et le caractère ; ma paresse est invincible, et de ma vie, je n’ai pu agir sur les autres. J’y serais moins propre que jamais, d’autant plus qu’il ne s’agirait pas seulement d’avoir un plan d’organisation simple et applicable au présent, il faudrait encore des formules religieuses et morales, une prédication de principes et de sentiment.

« Je reconnais la nécessité du sentiment pour convaincre les âmes ; mais ceci n’est pas de mon ressort. Je n’ai pas la faculté de me livrer et de m’épancher, et mon cœur n’a plus assez de vie pour communiquer l’éloquence à ma parole.

« Je crois aussi que le temps n’est pas venu… vous ne le croyez pas, vous ? Eh bien, je ne veux pas vous ôter cette conviction ; vous êtes taillé pour les entre-