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— Je voudrais que mon père entendît votre opinion, monsieur le marquis, et qu’il voulût bien s’en pénétrer, répondit Émile en souriant ; car il me traite toujours comme un enfant.

— Quel homme est-ce que votre père ? dit M. de Boisguilbault avec une ingénuité de préoccupation qui ôtait à cette question ce qu’elle eût pu avoir d’impertinent au premier abord.

— Mon père, répondit Émile, est pour moi un ami dont je désire l’estime et dont je redoute le blâme. C’est ce que je puis dire de mieux pour vous peindre un caractère énergique, sévère et juste.

— J’ai ouï dire qu’il était fort capable, fort riche, et jaloux de son influence. Ce n’est pas un mal s’il s’en sert bien.

— Et quel est, suivant vous, monsieur le marquis, le meilleur usage qu’il en puisse faire ?

— Ah ! ce serait bien long à dire ! répondit le marquis en soupirant ; vous devez savoir cela aussi bien que moi. »

Et, entraîné un instant par la confiance qu’Émile lui avait témoignée à dessein, pour provoquer la sienne, il retomba dans sa torpeur, comme s’il eût craint de faire un effort pour en sortir.

« Il faut absolument rompre cette glace séculaire, pensa Émile. Ce n’est peut-être pas si difficile qu’on le croit. Peut-être serai-je le premier qui l’ait essayé ! »

Et tout en gardant, comme il le devait, le silence sur les craintes que lui inspirait l’ambition de son père, ou sur la lutte pénible de leurs opinions respectives, il parla avec abandon et chaleur de ses croyances, de ses sympathies, et même de ses rêves pour l’avenir de la famille humaine.

Il pensa bien que le marquis allait le prendre pour un