cousse, des bouteilles couvertes d’une antique et vénérable poussière.
Le marquis mouillait à peine ses lèvres, et faisait signe à son vieux serviteur de remplir le verre d’Émile qui, habitué à une grande sobriété, s’observait pour ne pas laisser sa raison succomber à tant d’expériences réitérées sur les nombreux échantillons de cette cave seigneuriale.
« Est-ce là votre ordinaire, monsieur le marquis ? lui demanda-t-il émerveillé de la coquetterie d’un tel repas pour deux personnes.
— Je… je n’en sais rien, répondit le marquis ; je ne m’en mêle pas, c’est Martin qui dirige mon intérieur. Je n’ai jamais d’appétit ; et ne m’aperçois pas de ce que je mange. Trouvez-vous que ce soit bon ?
— Parfait ; et si j’avais souvent l’honneur d’être admis à votre table, je prierais Martin de me traiter moins splendidement, car je craindrais de devenir gourmet.
— Pourquoi non ? c’est une jouissance comme une autre. Heureux ceux qui en ont beaucoup !
— Mais il en est de plus nobles et de moins dispendieuses, reprit Émile ; tant de gens manquent du nécessaire que j’aurais honte de me faire un besoin du superflu.
— Vous avez raison, dit M. de Boisguilbault, avec son soupir accoutumé. Eh bien, je dirai à Martin de vous servir plus simplement une autre fois. Il a jugé qu’à votre âge on avait grand appétit ; mais il me semble que vous mangez comme quelqu’un qui a fini de grandir. Quel âge avez-vous ?
— Vingt et un ans.
— Je vous aurais cru moins jeune.
— D’après ma figure ?
— Non, d’après vos idées.