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seul être, un être privilégié qui marchait triomphalement vers le jour où la main de Gilberte devait se poser dans la sienne.

L’escalier souterrain aboutissait au bas de la colline rocheuse que couronnait le château. C’était un passage de sortie réservé en cas de siège, et Janille ne tarissait pas d’éloges sur cette construction difficile et savante.

Malgré l’égalité absolue dans laquelle elle vivait avec ses maîtres et dont elle n’eût voulu se départir à aucun prix, tant elle avait conscience de son droit, la petite femme avait des idées étrangement féodales ; et, à force de s’identifier avec les ruines de Châteaubrun, elle en était venue à tout admirer dans ce passé dont elle se faisait, à la vérité, une idée fort confuse. Peut-être aussi croyait-elle devoir rabattre l’orgueil présumé de la richesse bourgeoise, en faisant sonner bien haut devant Émile l’antique puissance des ancêtres de Gilberte.

« Tenez, monsieur, lui disait-elle en le promenant de geôle en geôle, voilà où l’on mettait les gens à la raison. Vous pouvez voir encore ici les anneaux de fer pour attacher les prisonniers enchaînés. Voici un caveau où l’on dit que trois rebelles ont été dévorés par un serpent énorme. Les seigneurs d’autrefois en avaient comme cela à leur disposition. Nous vous ferons voir tantôt les oubliettes : c’était cela qui ne plaisantait pas ! Ah ! mais si vous étiez passé par là avant la révolution, vous auriez peut-être bien fait le signe de la croix au lieu de rire !

— Heureusement on peut rire ici maintenant, dit Gilberte, et penser à autre chose qu’à ces abominables légendes. Je remercie le bon Dieu de m’avoir fait naître dans un temps où l’on peut à peine y croire, et j’aime notre vieux nid, tel que le voilà, inoffensif et renversé à jamais. Tu sais bien, Janille, ce que mon père dit toujours aux gens de Cuzion, quand ils viennent lui demander de