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« Oh ! s’il en était ainsi ! pensait Émile en marchant avec agitation au bord de la rivière ; s’il y avait un calcul inhumain, dans cette générosité momentanée ! si Jean avait deviné juste ! si mon père, tout en suivant les doctrines aveugles de la société, n’avait pas des vertus et des lumières supérieures à celles des autres spéculateurs, pour atténuer les effets désastreux de son ambition !… Mais, non, c’est impossible ! mon père est bon, il aime ses semblables… »

Émile avait pourtant la mort dans l’âme ; toute cette activité, toute cette vie dépensée au profit de son avenir, le faisaient reculer de dégoût et d’effroi. Il se demandait comment tous ces ouvriers de sa fortune ne le haïssaient pas, et il était prêt à se haïr lui-même pour rétablir la justice.

Un profond ennui pesa encore sur lui le lendemain, mais il vit arriver avec une sorte de joie le jour qu’il devait consacrer en partie à M. de Boisguilbault, parce qu’il s’était promis d’aller, sans rien dire à personne, passer la journée à Châteaubrun. Au moment où il montait à cheval, M. Cardonnet vint lui adresser quelques railleries :

« Tu t’y prends de bonne heure, pour aller à Boisguilbault ! il paraît que l’entretien de cet aimable marquis a des charmes pour toi ; je ne m’en serais jamais douté, et je ne sais quel secret tu possèdes pour ne pas t’endormir entre chacune de ses phrases.

— Mon père, si c’est là une manière de me faire savoir que ma démarche vous déplaît, dit Émile en faisant avec dépit le mouvement de descendre de cheval, je suis prêt à y renoncer, bien que j’aie accepté une invitation pour aujourd’hui.

— Moi ! reprit l’industriel, il m’est absolument indifférent que tu t’ennuies là ou ailleurs. Puisque la maison paternelle est celle où tu te déplais le plus, je désire que