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« Eh bien, mon père, dit le jeune homme, en prenant sa main avec tendresse et très-ému, car il sentait approcher le moment où il saurait ce qui devait l’emporter dans son cœur, ou de l’amour filial ou de la terreur et du blâme, me voici bien disposé à recevoir avec respect les confidences que vous m’avez promises. J’ai vingt et un ans, et je me sens devenir un homme. Vous avez bien tardé à m’émanciper de la loi du silence et de la confiance aveugle : mon cœur s’est soumis tant qu’il a pu, mais ma raison commence à parler bien haut, et j’attends votre voix paternelle pour les mettre d’accord. Vous allez le faire, je n’en doute pas, et m’ouvrir les portes de la vie ; car jusqu’ici je n’ai fait que rêver, attendre et chercher. J’ai flotté dans des doutes étranges, et j’ai déjà bien souffert sans oser vous le dire. À présent vous me guérirez, vous me donnerez la clef de ce labyrinthe où je m’égare ; vous me tracerez, vers l’avenir, une route que j’aimerai à suivre. Heureux et fier si j’y peux marcher avec vous !

— Mon enfant, répondit M. Cardonnet, un peu troublé de ce début plein d’effusion, tu as pris là-bas, l’habitude d’un langage emphatique que je ne peux pas imiter. Ces manières de dire sont mauvaises, en ce que l’esprit s’échauffe et s’exalte, puis bientôt s’égare, dans un exercice de sensibilité exagérée. Je sais que tu m’aimes et que tu crois en moi. Tu sais que je te chéris uniquement, et que ton avenir est mon seul but, ma seule pensée. Parlons donc raisonnablement, froidement, s’il est possible. Récapitulons d’abord un peu ta courte et heureuse existence. Tu es né dans l’aisance, et, comme je travaillais assidûment, la richesse est venue se placer sous tes pas, si vite et si naturellement en apparence, que tu ne t’en es guère aperçu. Chaque année augmentait la puissance d’extension de ta carrière future, et tu étais à peine sorti de l’enfance que j’avais songé à ta vieillesse et à l’avenir de tes