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la politesse, m’asseoir à votre table. Est-ce que vous ne voyez pas que je suis mort ? » Le châtelain le regarde et s’aperçoit, en effet, qu’il est mort. Il laisse retomber la porte entre lui et le défunt, et rentre dans la salle du festin, où il s’évanouit. »

Émile ne s’évanouit pas lorsque M. de Boisguilbault le salua ; mais si, au lieu de lui dire : « Pardonnez-moi de vous avoir fait attendre, j’étais dans mon parc », il lui eût dit : « J’étais en train de me faire enterrer », il n’eût pas été trop surpris. »

La toilette surannée du marquis ajoutait à sa physionomie de revenant. Il s’était mis à la mode une seule fois dans sa vie, le jour de son mariage. Depuis lors, il n’avait plus songé à changer rien à sa toilette, et il avait donné pour modèle invariable à son tailleur l’habit qu’il venait d’user, sous prétexte qu’il y était habitué, et qu’il craignait d’être gêné par une coupe nouvelle. Il avait donc le costume d’un petit-maître de l’Empire, ce qui produisait le plus étrange contraste avec sa figure triste et flétrie. Un habit vert très court, des pantalons de nankin, un jabot très roide, des bottes à cœur, et, pour rester fidèle à ses habitudes, une petite perruque blonde de la nuance de ses anciens cheveux et ramassée en touffe sur le milieu du front. Des cols empesés montant très haut, et relevant jusqu’aux yeux ses longs favoris blancs comme la neige, donnaient à sa longue figure la forme d’un triangle. Il était d’une propreté scrupuleuse, et pourtant quelques brins de mousse sèche sur ses habits attestaient qu’il ne venait pas de faire toilette exprès pour recevoir son hôte, mais qu’il avait coutume de se promener dans la solitude de son parc avec cette invariable tenue de rigueur.

Il s’assit sans rien dire, salua sans rien dire et regarda Émile sans rien dire. D’abord le jeune homme fut embar-