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allées, comme un revenant, et cela faisait peur à ceux qui s’étaient glissés là pour essayer d’y chiper quelques fruits ou quelques fagots. »

Comme il était arrivé en face du parc et que, du sentier élevé qu’il suivait, Émile pouvait plonger dans l’intérieur et en découvrir une partie, il fut charmé de la beauté de ce lieu de plaisance, de la magnificence des ombrages, de l’heureuse disposition des massifs, de la fraîcheur des gazons et de la coupe élégante des divers plans, qui s’abaissent mollement jusqu’aux bords d’une petite rivière, un des rapides affluents de la Gargilesse. Il pensa que ce ne pouvait pas être un idiot qui avait créé cette sorte de paradis terrestre et tiré un si heureux parti des beautés de la nature. Il lui sembla, au contraire, qu’une âme poétique devait avoir présidé à cet arrangement ; mais l’aspect du château vint bientôt donner un démenti à ces conjectures. On ne pouvait rien voir de plus froid, de plus laid et de plus déplaisant que le manoir de Boisguilbault. Des réparations postérieures à sa construction lui avaient enlevé une partie de son antique caractère, et le bon état d’entretien où on le maintenait rendait ses abords encore plus maussades.

Jean s’arrêta à l’extrémité du parc sur le sentier, et son jeune ami lui ayant donné quelques-uns de ses meilleurs cigares pour lui faire prendre patience, celui-ci se dirigea vers la porte du manoir, sur un chemin d’une propreté désespérante.

Pas une broussaille, pas un rameau de lierre ne lui dérobait la nudité de ces grands murs peints en gris de fer, et le seul accident d’architecture qui vint frapper ses regards fut un grand écusson placé au-dessus de la grille, portant les armoiries de Boisguilbault, regrattées et rétablies plus récemment que le reste, peut-être à l’époque du retour des Bourbons ; du moins, il y avait une sensible différence