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bonheur, elle ne s’en porte que mieux, et moi j’ai été bien content d’entrer dans votre joli château, de voir vos belles chambres, les domestiques à votre papa, qui ont des gilets rouges et de l’or à leurs chapeaux !

— Ah ! voilà surtout ce qui lui a tourné la tête, dit Gilberte en riant de tout son cœur, et en découvrant deux rangs de petites dents blanches et serrées comme un collier de perles. M. Sylvain, tel que vous le voyez, est rempli d’ambition : il méprise profondément sa blouse neuve et son chapeau gris depuis qu’il a vu des laquais galonnés. S’il voit jamais un chasseur avec un plumet de coq et des épaulettes, il en deviendra fou.

— Pauvre enfant ! dit Émile, s’il savait combien son sort est plus libre, plus honorable et plus heureux que celui des laquais bariolés des grandes villes !

— Il ne se doute pas que la livrée soit avilissante, reprit la jeune fille, et il ignore qu’il est le plus heureux serviteur qui ait jamais existé.

— Je ne me plains pas, répondit Sylvain ; tout le monde est bon pour moi, ici, même mademoiselle Janille, quoiqu’elle soit un peu regardante, et je ne voudrais pas quitter le pays, puisque j’ai mon père et ma mère à Cuzion, tout auprès de la maison ! Mais un petit bout de toilette, ça vous refait un homme !

— Tu voudrais donc être mieux mis que ton maître ? dit mademoiselle de Châteaubrun. Regarde mon père, comme il est simple. Il serait bien malheureux s’il lui fallait mettre tous les jours un habit noir et des gants blancs.

— Il est vrai que j’aurais de la peine à en reprendre l’habitude, dit M. Antoine. Mais entendez-vous Janille, mes enfants ? la voilà qui s’égosille après nous pour que nous allions déjeuner. »

Mes enfants était une locution générale que, dans son humeur bienveillante, M. Antoine adressait souvent, soit