Page:Sand - Le Péché de Monsieur Antoine, Pauline, L’Orco, Calman-Lévy, 18xx, tome 1.djvu/101

Cette page a été validée par deux contributeurs.

car elle s’avança et le salua sans gaucherie, sans cet air contraint et sournoisement pudique qu’on a trop vanté chez les jeunes filles, faute de savoir ce qu’il signifie. Il ne vint pas à la pensée de Gilberte que le jeune hôte de son père allait la dévorer du regard, et qu’elle dût prendre un air digne pour mettre un frein à l’audace de ses secrets désirs. Elle le regarda elle-même, au contraire, pour voir si sa figure lui était sympathique autant qu’à son père, et avec une perspicacité très-prompte, elle remarqua qu’il était très-beau sans en être vain le moins du monde, qu’il suivait les modes avec modération, qu’il n’était ni guindé, ni arrogant, ni prétentieux ; enfin que sa physionomie expressive était pleine de candeur, de courage et de sensibilité. Satisfaite de cet examen, elle se sentit tout à coup aussi à l’aise que si un étranger ne s’était pas trouvé entre elle et son père.

« C’est vrai, dit-elle en achevant la phrase d’introduction de M. de Châteaubrun, mon père vous en a voulu, monsieur, de vous être enfui l’autre jour sans avoir voulu déjeuner. Mais moi, j’ai bien compris que vous étiez impatient de revoir madame votre mère, surtout au milieu de cette inondation où chacun pouvait avoir peur pour les siens. Heureusement madame Cardonnet n’a pas été trop effrayée, à ce qu’on nous a dit, et vous n’avez perdu aucun de vos ouvriers ?

— Grâce à Dieu, personne chez nous, ni dans le village, n’a péri, répondit Émile.

— Mais il y a eu beaucoup de dommage chez vous ?

— C’est le point le moins intéressant, mademoiselle ; les pauvres gens ont bien plus souffert à proportion. Heureusement mon père a le pouvoir et la volonté de réparer beaucoup de malheurs.

— On dit surtout… on dit aussi, reprit la jeune fille en rougissant un peu du mot qui lui était échappé malgré