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sentait froissé et irrité dans un sentiment qu’il ne s’avouait pas à lui-même et auquel il ne voulait pas seulement donner un nom. Il se mit au travail et travailla mal. Il se coucha et dormit plus mal encore.

Quant au duc, il se frottait naïvement les mains.

— J’ai réussi, se disait-il ; j’ai trouvé le réactif contre son désespoir. Pauvre cher frère ! je lui ai monté la tête, j’ai éveillé ses désirs, j’ai excité sa jalousie. Le voilà amoureux ! Il guérira et il vivra ! À la passion, il n’y a de remède que la passion ! Ce n’est pas ma mère qui eût trouvé cela, et s’il en résulte quelque scandale dans sa maison, elle me le pardonnera le jour où elle saura que mon frère fût mort de ses regrets et de sa vertu.

Le duc ne se trompait peut-être pas, et un homme plus sage eût été moins ingénieux. Il se fût efforcé de rattacher le marquis à la vie par l’amour des lettres, par la tendresse filiale, par la raison et la morale, toutes choses excellentes, mais que depuis longtemps le malade appelait en vain à son secours. Seulement le duc, à son point de vue, se figurait avoir tout sauvé, et il ne prévoyait pas qu’avec une nature exclusive comme celle de son frère, le remède pouvait bientôt devenir pire que le mal. Le duc, connaissant par lui-même la faiblesse humaine, croyait à la faiblesse relative des femmes, et n’admettait pas d’exception. Selon lui, Caroline ne lutterait guère, il la croyait déjà très-disposée à aimer le marquis. Il ne pensait même pas que l’espoir du mariage fût néces-