Page:Sand - Le Marquis de Villemer.djvu/57

Cette page a été validée par deux contributeurs.

décrivons, il s’était fait en lui un grand vide à la place de la conscience, et pourtant c’était plutôt une conscience absente que morte. Il y avait encore des retours, des combats, plus rares et plus courts que dans la jeunesse, mais peut-être plus énergiques, et celui qui se livrait en lui cette fois était si cruel, qu’il mit à plusieurs reprises la main sur une de ses armes de luxe, comme s’il eût été poursuivi par le spectre du suicide ; mais il pensa à sa mère, repoussa et enferma les armes, et se prit la tête à deux mains, craignant de devenir fou.

Il avait toujours regardé l’argent comme rien. Sa mère, par ses théories de noble désintéressement, l’avait aidé à glisser de là sur la pente du sophisme. Il avait pourtant compris qu’en ruinant sa mère, il avait dépassé son droit. Il s’était étourdi, il avait été jusqu’au bout en se promettant de s’arrêter devant la fortune de son frère, et puis il l’avait entamée notablement, cette fortune ; mais la vérité est qu’il ne l’avait pas fait sciemment ; que par délicatesse le marquis n’avait pas compté avec lui pour des choses de détail, et que, sans ta nécessité de préserver ce qui lui restait par un appel à son honneur, il ne lui en eût jamais parlé. Le duc ne se sentait donc pas coupable d’égoïsme prémédité, et il avait fait sincèrement de vifs reproches à Urbain pour ne l’avoir pas averti plus tôt. Il voyait enfin les abîmes ouverts par son désordre et son incurie ; il était mortellement humilié d’avoir porté un très-grand préjudice à l’avenir de son frère, et de