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caresses dont il avait perdu le souvenir, se mit à pleurer sans savoir pourquoi. C’était peut-être le vague reproche de l’instinct froissé par l’abandon. Le duc, plus âgé de trois ans, mais plus facile à distraire, ne s’était aperçu de rien. Il répondit par des baisers aux baisers de sa mère, et la pauvre femme s’imagina que celui-là avait hérité de son cœur, tandis que le marquis n’avait hérité, selon elle, que de son grand-père paternel, un vieux savant passablement maniaque. Le duc fut donc préféré en secret, non pas mieux choyé, car la marquise avait un grand fonds d’équité religieuse, mais plus caressé, parce que, pensait-elle, lui seul sentait le prix d’une caresse.

Urbain (le marquis) sentit cette préférence, et il en souffrit ; mais il ne se permit jamais de s’en plaindre, et, jugeant peut-être déjà son frère, il ne voulut pas lutter avec lui sur ce terrain frivole.

Avec le temps, la marquise reconnut bien qu’elle s’était trompée, et qu’il fallait juger les sentiments par des actes plus que par des paroles ; mais l’habitude de gâter son enfant prodigue était prise, et à cette habitude se joignit bientôt celle d’une tendre pitié pour des égarements qui semblaient devoir mener ce prodigue à sa perte. Ces égarements ne prenaient pourtant pas leur source dans une âme perverse. Vanité d’abord, ivresse ensuite, enfin déperdition d’énergie et tyrannie du vice, voilà en trois mots l’histoire de cet homme charmant sans exquisité, bon sans grandeur d’âme, sceptique sans athéisme. À l’âge où nous le