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fauteuil et devint fort pâle. Le marquis comprit ce que souffrait son orgueil, peut-être sa conscience.

— Calmez-vous, lui dit-il. Je ressens votre douleur ; mais je la crois bonne et je compte sur l’avenir. Oubliez le service que je rends à ma mère encore plus qu’à vous, mais n’oubliez pas que ce qui me reste est à elle seule désormais. Songez que nous pouvons avoir le bonheur de la conserver longtemps, et qu’il ne faut pas qu’elle souffre. Adieu, je vous reverrai dans une heure pour régler les derniers détails.

— Oui, oui, laissez-moi seul, répondit le duc ; vous voyez qu’en ce moment il m’est impossible de vous dire un mot.

Dès que le marquis fut sorti, le duc sonna, fit défendre sa porte et recommença à marcher dans sa chambre avec une agitation désespérée. Il subissait à cette heure-là l’inévitable et suprême crise de sa destinée. Dans aucun autre de ses désastres, il ne s’était vu si coupable et ne s’était senti si affecté.

Jusque-là en effet, il avait mangé sa propre fortune avec l’âpre insouciance que donne le sentiment de ne nuire qu’à soi-même. Il avait pour ainsi dire usé d’un droit. Puis, moitié à son insu, à force d’entamer le capital maternel, il l’avait dévoré, s’endurcissant peu à peu à l’humiliation de laisser peser sur son frère le devoir de soutenir leur mère de ses propres ressources. Disons tout ce qui pouvait jusque-là excuser le duc. Il avait été affreusement gâté. Il y avait eu pour lui dans le cœur maternel une préférence bien mar-