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tant la main sur la bouche, vous ne voyez rien si vous ne voyez pas que je vous aime !

— Oh ! mon Dieu dit le marquis en se laissant glisser à ses pieds, dites-le encore ! Je crains de rêver ! C’est la première fois que vous le dites, je croyais le deviner, et je n’ose pas le croire… Dites-le, dites-le, et que je meure après !

— Oui, je vous aime plus que ma vie, répondit-elle en pressant contre son cœur ce noble front, siége d’une âme si grande et si vraie ; je vous aime plus que ma fierté et plus que mon honneur ! J’ai nié cela longtemps en moi-même, je l’ai nié à Dieu dans mes prières, et je mentais à Dieu et à moi ! J’ai enfin compris, et j’ai fui par lâcheté, par faiblesse ! Je me sentais perdue, et je le suis ! Eh bien ! qu’importe après tout ? Il ne s’agit que de moi ! Tant que j’ai pu espérer de me faire oublier, je pouvais lutter ; mais vous m’aimez trop, je le vois bien, et vous mourrez si je vous quitte. Je vous ai cru mort, il y a quelques heures, et là j’ai vu clair dans notre existence : je vous avais tué ! Je pouvais vous faire vivre, vous le plus noble et le meilleur des êtres, et je vous sacrifiais au vain respect de moi-même ! Et que suis-je donc, moi, pour vous laisser mourir, quand tout ce qui n’est pas votre estime ne m’est rien ? Non, non, j’ai assez combattu, j’ai été assez orgueilleuse, assez cruelle, et vous avez trop souffert par ma faute ! Je vous aime, entendez-vous ? Je ne veux pas être votre femme, parce que ce serait vous plonger dans des remords poignants, dans d’irrémé-