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exclut tout bien-être matériel et même toute propreté, comme une superfluité profane. L’avarice y trouve son compte, et la coquetterie aussi, car si Justine me donnait à vendre des bijoux, j’aurais vite une clientèle plus avide de cela que de linge et de souliers.

« Elles font toutes ces merveilleuses guipures noires et blanches que, chez nous, tu as vu faire à Justine. On est étonné de voir ici, dans la montagne, des ouvrages de fées sortir des mains de ces pauvres créatures, et le peu qu’elles gagnent scandalise le voyageur. Elles donneraient avec joie pour vingt sous ce que l’on nous vend vingt francs à Paris, s’il leur était permis de traiter avec le consommateur ; mais cela leur est strictement interdit. Sous prétexte qu’il fournit la soie, le fil et les modèles, le trafiquant accapare et taxe leur travail. C’est en vain que vous offrez à une paysanne de lui fournir les matériaux et de la payer cher. La pauvre femme soupire, regarde l’argent, secoue la tête, et répond que, pour profiter de la libéralité d’une personne qui ne l’emploiera pas toujours, que peut-être elle ne reverra même jamais, elle ne veut pas risquer de perdre la pratique de son maître. Et puis toutes ces femmes sont dévotes ou feignent de l’être. Celles qui sont sincères ont juré par la Vierge et les saints de ne pas vendre aux particuliers, et on est bien forcé de respecter le respect de la parole donnée. Celles qui font de la dévotion un état (et je vois qu’il y en a plus qu’on ne pense) se sentent à toute heure sous la main et sous les yeux des prê-