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vous alliez là, vous, vous les trouveriez tout de suite.

« Je lui avouai que la réelle immensité me tentait beaucoup, que je voyais souvent en songe des montagnes infranchissables et des abîmes à donner le vertige, que devant une gravure représentant les furieuses cascades de la Suède ou les blocs errants des mers glaciales, je me sentais emportée par des rêves démesurés d’indépendance, et qu’il n’était pas de récit d’expéditions lointaines dont les souffrances et les dangers pussent m’ôter le regret de n’en avoir pas fait partie.

« Et pourtant, me dit-il, devant ce charmant petit paysage que voici, vous paraissiez très-heureuse et véritablement satisfaite tout à l’heure ? Avez-vous donc plus besoin d’émotions et de surprises que d’attendrissement et de sécurité ? Voyez comme c’est beau, le calme ! comme cette heure de reflets rayés par les ombres qui s’abaissent, ces fluides vaporeux qui semblent caresser les flancs du rocher, cette immobilité du feuillage qui a l’air de boire en silence l’or des derniers rayons, comme toute cette solennité recueillie et sereine est bien la véritable expression du beau et du bon dans la nature ! Je ne connaissais pas tout cela, moi ! Il y a très-peu de temps que j’en ai été frappé. Je vivais dans la poussière, dans la mort ou dans les abstractions. Je rêvais bien les tableaux de l’histoire, la fantasmagorie du passé. J’ai vu quelquefois passer à l’horizon la flotte de Cléopâtre, j’ai cru entendre dans le silence des nuits les fanfares guerrières de