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élans de son imagination à la rigidité de l’histoire.

« Il prétend au reste que c’est moi qui ai découvert cela en lui, et qu’il commence à s’en apercevoir lui-même. L’autre jour, nous regardions dans un ravin transversal à celui du Char la beauté des herbages remplis de moutons et de chèvres. Au fond de cette coupure escarpée, il y a un revêtement de rochers dont quelques dentelures s’élèvent au-dessus du plateau, si bien que c’est, relativement au niveau inférieur, une montagne, et que ces belles roches d’un gris lilas forment une crête assez imposante pour cacher le pays plat qui est derrière. On ne voit donc pas d’ici le dessus des plateaux, et on peut se croire dans un coin de la Suisse. C’est du moins ce que me dit M. de Villemer pour me consoler de la manière dont la marquise rabroue mes admirations. — Ne vous inquiétez pas de cela, me disait-il, et ne pensez pas qu’il faille avoir vu beaucoup de grandes choses pour avoir la notion et la sensation du grand. La grandeur est partout pour ceux qui portent cette faculté en eux-mêmes, et ce n’est pas une illusion qu’ils nourrissent, c’est une révélation de ce qui est en réalité dans la nature d’une manière plus ou moins exprimée. Aux sens lourds il faut des manifestations brutales de la puissance et de la dimension des choses. Voilà pourquoi beaucoup de gens qui vont en Écosse chercher les tableaux décrits par Walter Scott ne les trouvent pas, et prétendent que le poète leur a surfait son pays. Ces tableaux y sont pourtant, j’en suis bien sûr, et si