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Il pensait et il écrivait rapidement ; mais sa conscience de philosophe et de moraliste créait à sa fougue d’historien enthousiaste des obstacles toujours renaissants. Il était en proie aux scrupules, comme certains dévots sincères, mais malades, qui s’imaginent toujours n’avoir pas dit toute la vérité à leur confesseur. Il voulait, lui, confesser à l’humanité la vérité sociale, et n’admettait pas assez que, pour une bonne part, cette science du vrai et même du réel est relative au temps où l’on vit. Il n’en prenait pas son parti. Il voulait déterrer le sens des faits enfouis dans les arcanes du passé, et, s’étonnant, lorsqu’il en avait à grand’peine saisi quelques indices, de les trouver souvent contradictoires, il s’alarmait, se méfiait de sa propre lucidité ou de sa propre équité, suspendait son jugement et son travail, et durant des semaines et des mois se laissait dévorer par des incertitudes et des doutes terribles.

Caroline, sans connaître son livre, qui n’était encore écrit qu’à moitié, et qu’il cachait avec une timidité maladive, eut bientôt deviné la cause de ses angoisses en causant avec lui et en entendant ses réflexions, lorsqu’elle lui faisait la lecture. Elle lui présenta d’inspiration quelques réflexions d’une simplicité extrême, mais d’une droiture de cœur qui parut sans réplique. Elle s’embarrassait fort peu d’une petite tache dans une grande existence, ou d’une petite lueur de raison dans une époque de délire. Elle croyait qu’il fallait voir le passé comme on regarde la peinture, à la dis-