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serment. Une femme est toujours étonnée qu’au bout de deux ou trois mois d’intimité affectueuse, on ne lui dise pas un mot d’amour. Et puis, elle aussi s’ennuiera, puisque les yeux de mon frère ne lui parlent plus… Nous verrons bien. Allons, ce sera très-nouveau et très-piquant de conquérir un cœur qu’on tient en éveil sans en avoir l’air, et d’assister au désarmement d’une vertu sans paraître l’avoir provoqué. J’ai vu ce manège chez les coquettes et chez les prudes, mais je suis curieux de voir comment mademoiselle de Saint-Geneix, qui n’est ni coquette ni prude, s’y prendra pour accomplir cette évolution.

Ainsi occupé par une puérilité d’amour-propre, le duc ne s’ennuya plus. Il n’avait jamais aimé la débauche brutale, et ses débordements avaient toujours conservé un cachet d’élégance. Il avait tant usé et abusé de la vie qu’il était assez usé lui-même pour se contenir sans grand effort. Il l’avait dit, il n’était pas fâché de se refaire une santé et une jeunesse, et même par moments il s’imaginait retrouver peut-être la jeunesse du cœur, dont ses manières et son langage avaient su garder les apparences. De ce que son cerveau travaillait encore à un roman pervers, il concluait qu’il pouvait être encore romanesque.

Il manœuvra si habilement, que mademoiselle de Saint-Geneix eut la modestie d’être complètement dupe de sa feinte loyauté. Voyant qu’il ne cherchait jamais à être seul avec elle, elle ne l’évita plus. Et tandis que, sans la perdre des yeux, il faisait naître