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je me souviens de nos rires étouffés quand nous entendions ces pauvres gentillâtres menacer M. de Buonaparte et jurer que leurs épées n’étaient pas encore rouillées ! Dans ce temps-là, on voyait ses voisins moins souvent qu’aujourd’hui, mais on les voyait plus longtemps. Ils faisaient des visites de huit jours, et on se liait bon gré, mal gré, avec des êtres ennuyeux, mais qui vous étaient dévoués à l’occasion. Faute de routes, ils vous arrivaient de huit à dix lieues, montés sur des chevaux de ferme, avec leur dame en croupe et quelquefois un enfant devant eux. Il y avait aussi quelques élégants de village qui étaient encore habillés en incroyables de 1810 ; ceux-ci venaient également à cheval en bas blancs avec des escarpins, le tout recouvert d’un gros pantalon de drap à pieds qui se boutonnait du haut en bas, et que l’on dépouillait dans l’écurie avant de se présenter au salon. Eh bien ! après tout, c’était plus décent que de venir faire des visites du matin en bottes à l’écuyère et en culottes de daim, avec cette forte odeur de cheval dont les femmes ne souffrent plus, le parfum du cigare de ces messieurs leur ayant fait perdre l’odorat. Certes, un gentilhomme de campagne d’à présent a l’air plus cultivé que ceux dont je vous parle : il sait un certain nombre de choses dont tout le monde peut causer : il lit des journaux, il a fait, ou son éducation, ou plusieurs voyages dans les grands centres mais il s’est effacé dans le roulis général qui arrondit tous les cailloux de la même manière. Il n’a plus de ces naïve-