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pour un homme de bien ; aussi j’ai beaucoup de respect pour vous, et je me garderais bien de conclure après vous.

JACQUES. — Êtes-vous de mon avis, qu’on peut être à la fois très-raisonnable et très-bon chrétien ?

FLORENCE. — Il me semble que oui. J’avoue n’avoir jamais beaucoup réfléchi à cela. Je suis l’enfant de mon siècle, et très-porté, par conséquent, à me laisser guider par les instincts.

RALPH. — Si les vôtres sont bons !…

FLORENCE. — Je ne les ai jamais sentis ni déraisonnables ni pervers ; mais ce que M. Jacques disait tout à l’heure m’a frappé, et je me demandais si ce que je prends pour mes bons instincts seulement n’était pas l’œuvre du christianisme dans l’humanité. Oui, cela doit être. Si j’osais quelquefois vous demander de causer avec vous, monsieur Jacques… le soir, à la veillée, quand vous vous promenez comme cela dans le parc ?…

JACQUES. — De grand cœur, mon cher enfant ; nous chercherons ensemble, car je vous assure que je ne sais rien encore, tout vieux que je suis. Pour commencer, restez avec nous, si bon vous semble.

FLORENCE. — J’en serais bien content ; mais j’entends qu’on m’appelle et je suis forcé de vous quitter. Je suis fonctionnaire dans la maison, comme vous diriez si vous en étiez le maître ; mais, dans le langage et les idées qui y règnent, je suis domestique, et rien de plus.

RALPH. — Comment ! vous êtes…

FLORENCE. — Je suis le jardinier-fleuriste de madame la comtesse, que je n’ai pas encore l’honneur de connaître, car je suis ici depuis ce matin. Je vous salue, messieurs, et me mets à votre service autant qu’il me sera possible.

(Il s’éloigne.)

RALPH. — Voilà un garçon qui a l’air ouvert et distingué. Est-ce vraiment un jardinier ?

JACQUES. — Je ne le connais pas plus que vous, mais puisqu’il le dit, il faut le croire. Tous les hommes de cette classe n’ont pas ces manières-là ; mais aujourd’hui on