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et pourtant… ma conduite d’hier est exempte de reproche ; je n’ai pas voulu entendre un seul mot de cette malheureuse, et, ce matin, je ne l’ai pas revue.

DIANE. — Vous croyez donc, marquis, que c’est à propos de cette fille que j’ai eu la pensée de rompre avec vous ?

GÉRARD. — Mon Dieu, quel autre crime aurais-je donc commis ?

DIANE. — Aucun. C’est moi qui suis coupable, c’est moi qui ne suis pas digne de vous.

GÉRARD. — Que dites-vous, Diane ? vous me raillez impitoyablement… et avec un sérieux !… Ah ! qu’ai-je donc fait pour mériter…

DIANE. — Rien vous dis-je ; je ne raille pas. Écoutez-moi, Gérard, et d’abord, dites-moi pourquoi vous m’aimez ?

GÉRARD. — Le sais-je, moi ? Pourrai-je jamais vous le dire ? Il me semble que tout le monde doit vous aimer autant que je vous aime, et que cependant je vous aime plus que tout le monde.

DIANE. — C’est bien dit, cela, Gérard, et voici la première parole naïve et juste que j’entends de vous. Pourquoi vous maniérez-vous donc avec moi, à l’habitude ?

GÉRARD. — Je me manière ? Eh bien, c’est possible, j’éprouve auprès de vous une insupportable timidité. Je me sens trop inférieur à vous ; je voudrais vous le cacher…

DIANE. — Et vous vous faites inférieur à vous-même ; vous me faites des compliments fades ; je vois bien qu’ils sont sincères ; mais la forme ne l’est pas…

GÉRARD. — Ah ! c’est ma gaucherie, mon trouble, mon embarras, qui me font chercher l’esprit, et je trouve le contraire probablement. Dites-moi la vérité, Diane ! Jusqu’ici, vous-même, vous ne m’avez pas montré le fond de votre pensée, je le sens bien. Vous avez été bienveillante, un peu railleuse, mais amicale. Vous m’avez accordé le bonheur de vous servir et d’être votre esclave. C’est beaucoup, mais ce n’est pas de l’affection véritable. Pas une seule fois vous ne m’avez repris avec la sévérité qu’on a quand on s’intéresse beaucoup aux gens. Commencez donc à le faire.