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soutiens mon dire. Si monsieur Gérard vous aime après avoir lu les lettres vous devez l’aimer de tout votre cœur et pour toute la vie !

DIANE. — Toute la vie ! c’est récompenser bien longtemps un moment de vertu !

JENNY. — Il y a des moments de vertu qui valent bien ça. Est-ce qu’elles sont bien vilaines, vos lettres ?

DIANE. — Vilaines ? comment l’entends-tu ? Une femme qui se respecte n’écrit jamais de lettres qui blessent la chasteté. Elles sont un peu exaltées, un peu vives, un peu trop poétiques, si tu veux. J’avais la tête montée ! Mais elles ne me feraient pas rougir dans le sens que tu redoutes.

JENNY. — Eh bien, alors, pourquoi vous faisaient-elles tant de peur ?

DIANE. — Ah ! voilà ! Tu veux le savoir ? je peux te le dire ; tu es discrète, et, après tout, j’aime autant avoir ton petit jugement sur ma conduite. J’écrivais ces lettres-là, à la même époque, à deux adorateurs à la fois.

JENNY. — Ah ! c’est très-mal cela, madame !

DIANE. — Bah ! je ne mentais ni à l’un ni à l’autre ! Je les appréciais d’une manière différente : l’un pour son esprit, et mes lettres pour lui étaient brillantes ; l’autre pour son cœur, et mon style était tendre.

JENNY. — Et ils ne se savaient pas encouragés tous les deux.

DIANE. — Je m’amusais bien quelquefois à les rendre jaloux l’un de l’autre ; mais cela amenait des scènes, des menaces, et alors j’étais forcée de mentir, ou de me brouiller, ce qui eût été funeste.

JENNY. — Pourtant ce moment-là est venu ?

DIANE. — Pas par ma faute, du moins ! Ils se détestaient, J’espérais qu’ils se détesteraient toujours ; mais un beau jour ils se sont réconciliés, chez cette Myrto apparemment, et ils l’ont chargée de leur vengeance ! Quel moyen ! quelle infamie ! Ah ! Jenny ! conviens que si j’ai été coupable, la rancune de ces hommes-là n’est guère proportionnée à l’outrage.