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ÉMILE. — Oui, je le connais. C’est brave, mais ce n’est pas chrétien. Vous ne l’imiterez pas, j’en suis sûr, et quant à moi, je regretterais fort d’être de ceux qui vous mettraient dans l’alternative d’être martyr ou meurtrier. Que vous soyez attaché à votre foi, cela me parait légitime ; que ceux qui la partagent aillent à votre sermon, c’est leur droit et le vôtre, et pourvu que…

LE CURÉ. — Je sais ce que vous allez dire. Oui, nous avons des torts. Le clergé veut trop empiéter sur le temporel, et cela sert de prétexte à nos ennemis.

ÉMILE. — Vos ennemis ! Et c’est vous, prêtre, qui dites un mot comme celui-là ? Où avez vous trouvé des ennemis en février ?

LE CURÉ. — Je sais que vous avez été très-gentils avec nous ; mais à présent vous dites : « C’est le tort que nous avons eu. »

ÉMILE. — Si des hommes irrités disent ça, à qui la faute ?

LE CURÉ. — La faute en est au diable, qui brouille toujours les cartes et qui joue sa partie au milieu de toutes nos agitations.

ÉMILE. — Si vous croyez au diable, moi je vous déclare que je n’y crois pas.

LE CURÉ. — Bah ! appelez-le comme vous voudrez. Le mal est dans l’homme, et l’enfer est souvent dans notre cœur !

ÉMILE. — Pour ma part, s’il y est, il ne me brûle pas assez pour que ma volonté n’y puisse jeter de l’eau.

LE CURÉ. — De l’eau qui n’est pas bénite, mon gars !

ÉMILE. — Qu’importe ? Je me sens plus fort que l’instinct du mal. Croyez-vous, par exemple, que je veuille vous nuire, moi qui cause en ce moment de bonne amitié avec vous ?

LE CURÉ. — Ah ! que oui, mon garçon ! Que si vous pouviez nous retirer casuel et allocation, vous le feriez de bon cœur !

ÉMILE. — Je ne dis pas non, mais vous empêcher d’être entretenu par vos coreligionnaires, vous menacer, vous inquiéter, vous contraindre, ce serait une attente à la liberté de conscience, que je veux souveraine et absolue.