Page:Sand - Le Diable aux champs.djvu/131

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans sa partie l’enrichirent en très-peu d’années. Alors il voulut me donner une éducation plus complète. J’eus un précepteur, et j’appris la langue et l’histoire de mon pays. Puis il me fit voyager pendant deux ans, et j’étudiai les lois de la végétation dans diverses contrées, car la botanique était restée ma passion dominante. Je revins pour voir prospérer mon père pendant quelque temps encore. Et puis la catastrophe arriva à la révolution de Février. Tout en m’occupant de payer ses dettes, je cherchai mon pain quotidien dans les premiers travaux qui me tombèrent sous la main. J’aurais pris une brouette de terrassier plutôt que de recourir à la bourse de mes amis. J’essayai diverses parties ; mais, toujours ramené à l’étude et à la culture des plantes, je cherchai l’emploi que j’occupe ici, et je veux m’y tenir jusqu’à nouvel ordre. Quant à madame de Noirac, je ne la connais guère plus que vous ne la connaissez vous-même, et je peux même vous avouer que je n’ai pas une grande sympathie pour ses manières.

JACQUES. — Ni moi non plus ; mais peu importe. Elle ne vivra pas à la campagne, j’en suis certain. Elle n’y viendra qu’en passant. L’espace est vaste, le terrain excellent, et vous aurez ici un travail agréable. Je souhaite, pour mon compte, de conserver le plus possible un voisin tel que vous.

FLORENCE. — Je serai fier si vous m’accordez un jour le titre d’ami, monsieur Jacques, et je suis bien décidé à m’en rendre digne. Pour commencer, je ne veux pas causer plus longtemps. Je retourne au travail, dont cette vierge folle m’a dérangé, je ne sais comment ni pourquoi.

JACQUES, lui serrant la main. — Au revoir, mon brave jeune homme. Voulez-vous venir dîner avec nous aujourd’hui ? Ce sera l’heure où vous finissez votre journée.

FLORENCE. — Je le veux bien, si vous me permettez de vous quitter de bonne heure.

JACQUES. — Cela va sans dire. Deux heures pour manger et causer avec des amis, voilà une récréation bien légitime ! Combien de pauvres travailleurs ne l’ont pas ou ne sont pas capables de l’apprécier !