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dans les versants de la descente. Un quart d’heure après, comme je tournais l’angle du glacier, je la vis à une grande distance au-dessous de moi entre deux rochers dont elle se croyait sans doute abritée contre tous les regards. Elle était appuyée contre un de ces rocs perpendiculaires dans une attitude de rêverie ou de découragement. Son costume rouge et blanc tranchait vivement sur le fond verdâtre, et le mouvement de sa personne délicate avait une grâce touchante ; mais elle sembla tout à coup m’avoir aperçu, et elle se retira brusquement. Je ne la vis plus.

Elle ne m’avait pas dit au juste la cause de son chagrin, et, pressentant qu’il était d’une nature délicate, je n’avais pas osé l’interroger. À quoi attribuer cette subite détresse d’une âme si fière, sinon au besoin de l’amour, trop longtemps combattu ? Je m’avisai d’une chose bien évidente, c’est que je ne lui avais pas dit un mot de ce qu’il eût fallu lui dire pour amener un épanchement qui l’eût soulagée. Je n’avais été qu’un raisonneur pédant, tandis que j’aurais dû être un paternel ami et arracher de son cœur le secret de quelque passion cachée qui la torturait. Cette passion n’avait pour objet aucune des personnes que je voyais venir à la Diablerette ; mais Félicie sortait fréquemment, elle allait vendre elle-même ses bestiaux et ses denrées, elle pouvait et devait connaître quelqu’un qui lui eût paru digne d’elle et qui ne la devinait pas, ou qui ne lui pardonnait pas le passé.