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femme forte. Je suis doux et sensible. Je ne sais pas combattre le chagrin par mes propres ressources. Je ne lutte pas ; quand il vient, il m’écrase, et, tandis que vous restez debout dans votre fierté vaillante, je suis brisé et me roule par terre comme un enfant. Pourtant je ne m’arroge pas le droit de me dire désespéré, puisque je ne suis pas méchant, et, quand j’ai plié sous la douleur, je me relève et je marche. Ce n’est donc pas de la vertu que j’ai, et ce n’est pas là ce qui vous manque ; vous n’êtes que trop stoïque et dure à vous-même. Ce que j’ai, c’est ce que vous ne voulez pas avoir : c’est la foi. Je ne vous parle pas de croyance religieuse, je ne me permets pas d’interroger la vôtre ; mais vous ne croyez pas à l’humanité, vous voulez la résumer dans deux ou trois personnes que vous aimez et auxquelles l’habitude de tout nier vous empêche de croire. Cette espèce de rupture que vous avez faite dans votre cœur avec toute pensée d’union morale avec la société vous a rendue misanthrope, et la misanthropie, c’est de l’orgueil. Vous vous faites un point d’honneur de résister à l’horreur de l’isolement, tandis que vous devriez vous en faire un de vous en arracher et de pardonner à l’intolérance et au préjugé les blessures que vous en avez reçues. Enfin vous vivez dans le fiel d’un éternel ressentiment contre le monde, sans vous douter que vous entretenez son éloignement par le vôtre et sa tyrannie par votre révolte. Cette situation où vous vous obstinez aigrit vos pensées et trouble votre juge-