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rends pas heureux. Mon travail régulier l’impatiente ; pourtant je ne travaille que pour lui, je n’aime que lui, je ne cherche à acquérir que pour le mettre à même de dépenser, et l’ordre qu’on voit ici fait qu’on est forcé de nous rendre justice sous un rapport. On reconnaît que nous nous rendons utiles, et que, si nous sommes des impies, comme on dit, nous ne sommes pas des avares et des lâches. À présent, monsieur, vous savez tout, et vous voyez bien que, si mon frère tient à son idée, je dois l’adopter, bonne ou mauvaise, dussé-je y voir passer tout notre patrimoine et toutes mes économies, dussé-je mendier encore et gratter la terre avec mes mains.

— Eh bien, répondis-je vivement impressionné par ce que je venais d’entendre, il ne faut pas que cela arrive ! Il faut dépenser noblement et utilement votre fortune en nourrissant l’ambition de votre frère de projets réalisables. Je le connais assez maintenant pour savoir qu’il a la passion de l’initiative ; il faut donc lui faire trouver lui-même l’aliment nécessaire à son activité d’esprit. Il est impossible qu’il n’y ait pas chez vous ou autour de vous quelque chose de sérieux à entreprendre. Je sais qu’il a en tête une autre idée sur laquelle je n’ai pas voulu le faire s’expliquer. Je craignais de vous déplaire et d’encourager quelque nouvelle rêverie ; mais qui sait s’il n’est pas sur une meilleure piste, et si je ne pourrais pas l’y pousser cette fois sans manquer à ma conviction et sans vous faire courir de trop gros risques ? Laissez-moi le tenter,