me reparlait d’aucun autre projet, et je ne voyais pas en quoi je pouvais lui être utile dans une propriété de médiocre étendue et parfaitement bien exploitée par sa sœur. Pourtant il me parut triste lorsque je lui fis entendre que je devais m’en aller. Il ne me répondit pas et mit sa tête dans ses mains en étouffant de formidables soupirs. Il ne dîna pas, garda le silence toute la soirée, et je vis, à la manière dont sa sœur le regardait sans l’interroger, qu’elle n’était pas sans inquiétude sur son compte.
Au coucher du soleil, j’allai m’asseoir sur une roche pour contempler l’admirable paysage qui nous entourait ; tout à coup quelqu’un que je n’avais pas entendu venir dans l’herbe épaisse de la prairie s’assit auprès de moi. C’était Félicie Morgeron.
— Écoutez, me dit-elle, vous êtes trop honnête et trop raisonnable. Il faut en rabattre un peu et aviser avec moi à contenter la folie de mon frère. Je le connais, il sera malade, il mourra peut-être du chagrin où il est tombé depuis trois jours. Je ne peux pas supporter cela, moi ! Vous avez vu que j’ai fait mon possible pour le ramener à la raison. Je l’ai pris par sa vanité, je l’ai raillé, je l’ai fâché ; rien n’y a fait. Il aime son rêve un peu plus qu’auparavant. Voilà dix ans qu’il s’en nourrit, il ne songe à gagner de l’argent que pour le dépenser dans ce travail. Il n’est pas possible de le dissuader à présent, il est trop tard. Il faut donc faire ce qu’il veut, et je viens vous dire que je ne m’y oppose plus. Ne lui dites pas cela, il