Page:Sand - Le Dernier Amour, 1882.djvu/344

Cette page a été validée par deux contributeurs.

serait un étranger pour moi, et il allait falloir établir un lien moral entre cet homme et moi ; ce serait une lutte, quel que fût cet homme. Il y avait vingt chances contre une que j’inspirerais la méfiance d’abord, comme tout homme sans appui et sans ressources qui demande du travail.

Rien de tout cela ne me causait le moindre effroi, j’avais la force et la volonté de travailler, je savais travailler. J’étais certain de me rendre utile et de forcer les autres à m’être utiles par conséquent. N’eussé-je pas eu la force d’assurer ma vie, rien n’était si simple que de me coucher dans un fossé et d’y mourir en paix, si aucun passant de bon cœur ne m’eût relevé. Ma situation morale et sociale offrait cet avantage que la mort ne pouvait pas être un malheur pour moi. De quoi donc pouvais-je me réjouir en sentant rentrer en moi la force d’être encore moi, tant qu’il plairait à Dieu que je fusse un habitant de ce monde ?

Je vais essayer de vous le dire : je n’étais pas mécontent de moi. J’avais sans doute manqué de prévoyance, de pénétration, de charme suffisant pour convaincre, de science morale et intellectuelle pour guérir ; mais, n’étant pas orgueilleux et ne voyant en moi qu’un homme ordinaire, je pouvais me rendre ce témoignage que j’avais tiré de mon propre fonds tout ce qu’il m’était possible de consacrer au vrai et au bien. J’avais commis des fautes de jugement, jamais mon cœur ne s’était égaré, et tout ce qui consti-