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LETTRE DE FÉLICIE.


« Plus d’espoir, plus du tout… Il ne m’aime plus, il ne m’aimera plus jamais ! Son cœur est mort, nous l’avons tué. Depuis un an, je lutte pour retrouver son affection ou pour éteindre celle que j’ai pour lui ; je m’efforce de le haïr, par moments je le hais. Une femme peut-elle pardonner le plus sanglant des outrages, l’indifférence ? Et pourtant je vais mourir pour qu’il me pardonne, à moi ! Morte, il me plaindra peut-être, il aura peut-être quelque regret, quelque pitié ; il se souviendra de m’avoir aimée, il oubliera mon crime ; il me gardera dans son cœur, purifiée par le châtiment qu’il n’a pas voulu m’imposer et que je me serai infligé à moi-même. La mort ! c’est tout ce que je peux faire, puisque ma vie ne peut rien réparer. J’ai voulu t’écrire cela. Je ne veux pas que tu croies que je meurs pour toi et que je te regrette. Non, je te méprise et te maudis. Et ne crois pas non plus que je sois en colère contre toi ; j’ai essayé de te pardonner et de t’aimer encore ; que n’ai-je pas essayé depuis un an pour échapper à l’horreur de l’isolement ! Tout a été inutile. Le dégoût que j’inspirais à Sylvestre, j’ai senti que je l’éprouvais pour toi. Lâche ! tu vas venir recueillir mon héritage, n’est-ce pas ? Tu vas habiter ma maison. Ta femme dormira dans mon lit à tes côtés ! et, toi, tandis qu’elle reposera à ta droite, verras-tu à ta gauche le cadavre que je serai tout à l’heure ?