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hommes à accepter et à garder ce que je croyais être un honneur et un bien, l’amour et les soins de cette femme, j’avais perdu, ce me semble, le droit de proclamer que c’était un mal et une honte. Je ne pouvais le constater qu’en secret ; le lui dire à elle-même n’eût servi qu’à exaspérer la cruauté de ma situation.

Mon mariage avec elle était une erreur de mon jugement, une folie et une sottise pour parler le langage de la vie pratique. Il faut savoir subir les conséquences de ses propres fautes, et, quand on n’a à se reprocher qu’un excès de candeur et de probité, on souffre de ses déceptions sans trop d’amertume, puisqu’on n’a point à en rougir vis-à-vis de soi.

J’avais été encore plus loin dans mon aveuglement. Je m’étais intéressé à Tonino, j’avais cru à sa sincérité. Je l’avais fait rentrer au bercail. Je m’étais livré pieds et poings liés à ce voleur de grand chemin, que, comme don Quichotte, j’avais eu le ridicule espoir de relever et purifier. Tout en pensant à ce type de l’idéal chevaleresque, je reconnaissais qu’il était plus grand que moi ; car j’avais ouvert les yeux, et lui, il ne les ouvrait pas. Jusqu’à la mort, il étreignait sa chimère : sublimité d’autant plus touchante qu’elle était plus inutile. Je n’étais réellement pas plus un fou incurable que je n’étais un saint absolu. J’étais un homme et je ne voulais pas cesser de l’être. Si la patience me semblait toujours un devoir, la fierté désormais me paraissait un devoir tout aussi sérieux.