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passer pour folle, si elle prenait la fuite ? Je fus révolté de cette lâcheté. Elle savait que jamais je ne la traduirais comme coupable devant un tribunal. Allait-elle travailler à se faire haïr, à me mettre hors de moi, à lasser ma patience, à me rendre méchant ? Me créer des torts envers elle était sa dernière ressource.

Elle essaya et elle échoua. Je me renfermai dans une politesse et dans une habitude de déférence inexpugnables. Le savoir-vivre est une forteresse dont les gens mal élevés ne connaissent pas la solidité. Félicie fut vaincue et par moments touchée de ma patience à toute épreuve. Hélas ! je n’y avais plus aucun mérite. Rien de sa part ne pouvait plus m’offenser, ni seulement m’émouvoir. Je ne l’aimais plus.

Et pourtant j’acceptais une tâche de dévouement qui pouvait absorber le reste de ma vie. Je ne pouvais ni ne voulais oublier que Jean Morgeron m’avait, par sa confiance et son amitié, légué cette tâche dont il m’avait donné le noble exemple. Félicie m’avait aimé autant qu’il était en elle d’aimer. Son affection m’avait rajeuni et enivré quelque temps ; j’avais eu, grâce à elle, deux ans de bonheur, illusoire par le fait, mais réel pour moi, puisque j’avais eu la foi. De plus, elle m’avait associé à une vie de bien-être dont je n’éprouvais nullement le besoin, mais qu’elle m’avait faite aussi douce et aussi honorable en apparence que possible. Tout cela était gâté, souillé ; mais, en m’engageant devant Dieu et devant les