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france quelconque. J’ouvris, comme toujours, beaucoup de livres sur ma table, afin d’avoir l’air occupé et paisible, si on venait me surprendre. C’était un rôle arrangé depuis trois mois, car je ne travaillais pas, cela m’eût été impossible. Je passais les heures de ma veillée et une grande partie de mes nuits à méditer douloureusement sur la veille et sur le lendemain.

J’étais donc très-attentif à ce qui se passait dans la maison. J’entendis les servantes fermer les portes d’en bas et se retirer dans leurs chambres. Félicie marcha un peu chez elle, et le silence se fit. Chez les gens nerveux et chez presque toutes les femmes, la fatigue se manifeste par l’excitation. Sans doute Félicie avait reçu une vive commotion intérieure en me voyant pleurer. Elle avait dû pleurer aussi ; elle était brisée. Après une bonne nuit de sommeil, car il semblait qu’elle dormît, elle serait plus douce, plus vraie, et, s’il fallait en venir à une explication, je la trouverais mieux disposée à me rendre justice.

Dans cet espoir un peu vague, brisé moi-même et n’ayant plus la force de commenter l’attitude iniquement absurde qu’elle semblait vouloir prendre, je m’assoupis, les coudes sur ma table. Je ne voulais pas me coucher sans m’être assuré par une attente raisonnable que je pouvais dormir sans crainte.

Vers minuit, je fus rappelé à moi-même par le son du violon. Félicie jouait l’air qu’elle m’avait chanté le matin. Elle le commença avec la pureté et la largeur qui caractérisaient son jeu remarquable. Puis