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sentis tout jeune, comme à l’instant où cette vibration magnétique du violon de Tonino Monti avait embrasé l’air que je respirais. Je crus au miracle, comme un homme qui a déjà senti la transformation miraculeuse et qui n’en croit pas le retour impossible. Félicie s’était remise à genoux près de moi en chantant ; j’oubliai le spectre, j’étreignis la femme, je crus étreindre l’amour.

Mais ce n’était que le rêve, l’amour physique qui fait sentir plus odieusement l’absence de l’amour moral. Le réveil fut affreux, car l’ivresse trompeuse m’arracha des sanglots, et Félicie comprit enfin que je savais tout !

Elle feignit de croire à une excitation nerveuse, et me laissa seul sans m’interroger. Moi, j’étais trop troublé pour m’apercevoir de sa découverte ; j’étais certain de n’avoir pas laissé échapper un mot qui trahît mon désespoir ; j’étais brisé, mais je n’avais pas été lâche. Je n’avais pas insulté la femme qui me brisait.

— Qui sait, me disais-je, si cette révolte de ma conscience ne sera pas la dernière ? L’amour a le don du miracle : ne peut-il faire taire l’esprit ?

Mais, alors, je me représentais Félicie savourant dans les bras de son amant l’ivresse qu’elle venait de goûter dans les miens, et se disant ce que je ne pouvais jamais me dire : « Le plaisir est tout l’amour, il est plus fort que tout, la conscience n’est rien devant lui ! » Elle avait vécu de ce blasphème et elle