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me l’avez dit plus tard, révéler, proclamer et imposer l’amour ? Je l’avais oublié, je n’ai jamais pu le retrouver. Il vient de me revenir à l’église : voulez-vous l’entendre ?

— Non ! lui dis-je vivement, sans trop savoir ce que je disais.

Je me repentis de ma réponse. Si elle n’en pénétra pas le sens, elle le pressentit à sa manière.

— Vous n’aimez plus rien du passé, me dit-elle, abattue et comme brisée ; c’est ma faute, je vous le laisse trop oublier.

Je n’oubliais rien, je craignais de retrouver mes souvenirs enlaidis et dénaturés ; mais, voyant que je l’avais affligée, je la priai de réveiller la voix endormie du précieux violon. Elle s’y refusa, disant que j’y mettais de la complaisance, et qu’elle se contenterait de fredonner l’air à demi-voix pour me le rappeler.

Alors, elle chanta tout bas, presque dans mon oreille, et, bien qu’elle n’eût pas de voix et chantât rarement, elle mit tant de charme et d’émotion dans son accent voilé, qu’une larme vint au bord de ma paupière au souvenir de cet air qui m’avait pour ainsi dire ouvert le cœur et l’esprit à l’amour, la première fois qu’elle me l’avait fait entendre. Je me rappelai les circonstances où cette magie s’était emparée de moi, je revis le paysage où j’étais, la mâle et douce figure de Jean m’apparut et me sourit. Un souffle printanier glissa dans ma chevelure, et je me