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L’amour vit encore par le souvenir des joies pures, et c’est la foi au passé qui le rend impérissable ; mais ôtez la foi et l’estime, la tendresse ne peut plus se manifester saintement par le plaisir. Pour reprendre comme maîtresse agréable l’épouse souillée, il faut abjurer l’amour et rire de soi-même. Je ne pouvais pas être si bon plaisant que cela : j’avais trop sincèrement aimé !

Il eût donc fallu pouvoir oublier ! Elle le pouvait, elle ; elle le voulait. Elle se haïssait peut-être elle-même, mais elle croyait pouvoir tout réparer, et, moi qui ne l’avais pas haïe, moi qui croyais aussi à la réhabilitation toujours possible, je ne pouvais chasser l’image de l’adultère interposée entre nos deux images et les empêchant de se confondre.

Alors commença une lutte funeste. La malheureuse voulut reprendre son empire ; elle crut que, rassasié de bonheur tranquille, j’entrais dans la phase de paresse intellectuelle où l’on n’a plus soif d’idéal, et où l’on retombe dans les habitudes de caractère que l’on avait avant de rêver le bien suprême. Elle fut plus habile et plus patiente que je ne l’en eusse crue capable. Elle feignit de respecter les études où je feignais, moi, de m’absorber, pour lui cacher mes angoisses. Elle se fit craintive, émue, coquette de modestie et de chasteté comme aux jours où je me défendais de partager son amour ; c’est par l’humilité qu’elle m’avait vaincue, elle crut me vaincre encore en ne m’adressant ni plainte ni reproche, et en