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faisait pis : elle se rejetait éperdue dans le rêve de son impure passion. Il fallait lui ôter ce doute, lui paraître aussi naïf, aussi aveugle que l’idiot dont je jouais le rôle avec héroïsme. J’y réussis en montrant un enjouement qui me déchirait le cœur ; je la fis sourire. Il y avait une légère nuance de mépris dans ce sourire à demi triste, à demi perfide. La femme n’admire plus l’homme qu’elle ne craint pas un peu. Je vis poindre ce dédain, et je le supportai…

Il s’effaça pourtant. Félicie était trop passionnée pour se guérir d’un amour sans se rejeter dans un autre. Elle pouvait oublier Tonino, avec l’espérance de retrouver en elle l’enthousiasme qu’elle avait eu pour moi. Elle était prête à subir cet enthousiasme ; il fallait le faire renaître, mais pour cela il fallait l’éprouver !

Je ne parle pas ici à mots couverts dans l’intention prude et libertine de faire deviner plus que je ne veux ou peux dire. Le mariage dévoilé a son impudeur pour ceux qui n’y voient qu’une série de plaisirs faciles, sans y faire entrer l’amour vrai, le grand amour. Cette manière de l’envisager n’était pas la mienne ; je n’avais épousé Félicie ni par convenance, ni par amitié, ni par galanterie. Je l’avais aimée d’amour, c’est-à-dire avec tout mon être ; idées, affections, sympathies physiques, tout ce qui était moi lui avait appartenu. Nous n’étions pas assez jeunes l’un et l’autre pour ne pas prévoir que les sens s’éteindraient avant l’estime et la tendresse réciproques.